C'est toujours du premier jet, vaguement relu :
"— Qu’est-ce qui te met de si bonne humeur ?
— J’ai trouvé un avocat.
Georgette s’interrompt dans son mouvement de touillage. La cuiller de bois suspendue en l’air au dessus du plat qui mijote, elle attend qu’il poursuive. Pourquoi donc un avocat ?
— Un spécialiste du code de la protection intellectuelle. J’ai rendez-vous mercredi prochain à dix-huit heures. Je n’aurai pas besoin de demander mon après-midi à cet imbécile de Michon…
— Georges, tu ne crois pas que tu devrais d’abord prendre le temps de lire ce roman de Feuille, pour vérifier qu’il a bien copié sur toi, avant de te lancer dans des procédures coûteuses ?
— Tant que c’est moi qui gagne l’argent du ménage, tu me permettras de décider comment le dépenser !
Le ton de Georges a changé, Georgette doit se méfier, elle avance en terrain glissant.
— Excuse-moi Georges, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je ne dis pas que tu as tort, et que ce n’est pas ton manuscrit. Mais comme le reportage ne donnait qu’un vague résumé du roman de Feuille, je me dis juste qu’il vaudrait mieux s’assurer qu’il reprend vraiment tes idées avant de voir un avocat, non ?
Son mari ne répond pas tout de suite, et pendant de trop longues secondes, on n’entend plus que les bruits de glougloutements du plat qui mijote et les grattements des griffes sur le carrelage quand Milord se déplace dans la cuisine. Georgette retient son souffle, espérant qu’elle n’est pas allée trop loin et que la situation ne va pas dégénérer comme la veille. Heureusement, Georges reprend enfin la parole :
— Tu as raison, et d’ailleurs l’avocat, enfin sa secrétaire, me l’a aussi conseillé…
— Si tu veux, je pourrais relire « Une pilule de trop » pour l’avoir mieux en tête et chercher moi aussi des similitudes en le comparant au roman de Feuille. Il faudrait que tu me ressortes un des cd de copie ou le manuscrit que tu as cherché chez « Mots et encre ».
Suite à la vague de cambriolages dans le quartier, Georges a acheté un coffre pour y mettre en sécurité tous les cd des différents manuscrits. Il ne conserve plus de copies papier, sinon celles qu’il récupére chez les éditeurs une fois refusées. Il est le seul à en détenir la clé.
— Cela m’aiderait bien, ma chérie. Même si tu es ma femme, nous serions ainsi deux à parler de plagiat et ce serait mieux pour l’avocat. Je me demandais d’ailleurs si tu ne pourrais pas emprunter pour moi le roman de Feuille à la bibliothèque. Je ne peux pas me résoudre à l’acheter, ça me donne trop l’impression de devoir payer mon propre livre….
Georgette hésite un instant à lui parler de l’exemplaire que le docteur Postat lui a prêté, mais en parler à Georges, ce serait lui parler de leurs discussions autour de la lecture, de ces prêts de livres et des moments privilégiés qu’ils ont lors de ses consultations médicales. Georges n’aimerait pas cela et il s’imaginerait des scénarios qui n’ont pas lieu d’être. L’inconvénient d’être mariée à un écrivain, c’est son imagination débordante."